FAMILLE NICOLE

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Mon grand-père Louis - La guerre

Mon grand-père Louis

La guerre

 

Passé le Conseil de révision en 1914, c'était, à coup sur,  avoir son billet pour le front, pour la guerre.

Cette guerre, Louis en avait entendu parler depuis sa plus tendre enfance. Surtout à l'école où l'instituteur ne manquait pas de montrer la carte de France, épinglée au mur de la classe, et amputée de ses deux provinces chéries : l'Alsace et la Lorraine ; Toutes deux perdues en 1871.

C'est vrai que cela faisait mal au coeur de voir ces deux provinces teintées de deuil sur la carte colorée par les fleuves et les montagnes.

La revanche contre les Allemands on y tenait et Louis, comme tous les autres enfants, avait été élevé dans ce culte.

La France, Louis ne la connaissait qu'à travers ce qu'il avait entendu de son père. Lorrain de souche, Ferdinand NICOLE avait vanté les prairies fraîches, les forêts au vert profond et les rivières limpides. Louis ne connaissait que le sirocco, les oueds boueux en hiver et craquelés en été. Ferdinand parlait de la douceur des printemps, de la fête des moissons et Louis avait dans les oreilles la phrase qui revenait sans cesse dans la bouche des vieux : "Pour vivre ici, il faut d'abord survivre !".

L'Algérie de ses dix-huit ans, Louis l'aimait confusément et la difficulté d'y vivre était le lot trop quotidien pour qu'on s'attarde dessus.

La guerre arrivait. Louis ignorait tout de cet obscur archiduc assassiné dans un pays totalement inconnu de lui et des gens de son entourage. Il ne s'engageait pas dans la guerre pour laver tel ou tel affront ; Cela, il le laissait à d'autres. Pour Louis, la guerre c'était d'abord l'aventure qui se présentait. Il allait quitté Vialar et l'échoppe de bourrelier. Il allait voir du pays et redonner à son père cette Lorraine dont il parlait avec nostalgie. Son père serait fier de lui. A sa mère il disait qu'il ne serait pas absent longtemps. Ne disait-on pas que les soldats seraient de retour avant Noël auréolés d'une victoire rapide et éclatante !

Décidément, cette aventure en terre française lui plaisait.

La guerre, il en avait une vague idée. C'était celle décrite par les livres de son enfance qui ne montraient que les défilés de la victoire.

Pouvait-il imaginer l'horreur qui attendait les hommes au Chemin des Dames, en Argonne, à Verdun, à Ypres ? Et même pour lui en Orient où il est allé combattre les Turcs ?

Pouvait-il imaginer l'enfer des tranchées prises, reprises puis encore perdues, les bombardements intensifs qui faisaient pleuvoir un obus au mètre carré, les gaz asphyxiants et les attaques inutiles et mortelles commandées par des officiers incompétents ?

Pouvait-il imaginer la mort brutale et souvent ignoble de ses camarades ?

Pouvait-il imaginer que lui-même toucherait le fond de l'abîme fauché par trois éclats d'obus ?

Ce dimanche 27 octobre 1918, à 11h30, à 400 mètres de Landigny, les éclats brûlants, provenant d'un obus de 150, lui fracasseront le front, lui couperont un doigt et pénétreront profondément dans sa chair. Son cheval Marouf s'abattra en même temps que lui, gravement touché. Les voilà tous deux tels des pantins désarticulés, plein de souffrance et râlant dans leur sang.

Le spahis Louis NICOLE était à terre. Tombé au Champ d'Honneur. Ses camarades continaient à se battre et à mourir. La guerre réclamait inlassablement son lot de chair et de sang.

Combien de temps Louis est-il resté inconscient ? Nul ne le sait.

La petite histoire raconte que ce sont deux brancardiers algériens qui l'ont découvert. Le trouvant inanimé et couvert de sang, un des brancardier a dit : "Celui-là, il a son compte. Pas la peine de le transporter !".

Dans un sursaut de vie, Louis a laissé filtrer entre ses lèvres glacées ces quelques mots en arabe : "Aténa garro !" (donne moi une cigarette). Stupéfaits, les deux hommes décidèrent de l'évacuer en se disant que c'était un des leurs.

On était à trois semaines de l'armistice du 11 novembre 1918. Avouez que c'est un manque de chance que de se faire buter si près de la victoire ! Surtout après avoir traversé quatre années et guerre au cours de laquelle, il était tombé 1.500.000 de soldats !
Louis passera plusieurs mois à l'hôpital avant de regagner l'Algérie.

Mémé Josée me montrera parfois ce bout de métal froid et coupant qui reposait inoffensif, dans une boîte, sur un lit de coton blanc. Peut-être cette relique existe-t-elle encore quelque part, au fond d'un tiroir ?

Pépé conservait de cette guerre une cicatrice profonde à la tête où il avait enfermé les cinquante et un mois d'horreur qu'il avait vécus.

Je regrette aujourd'hui de ne pas avoir parlé avec lui de cette époque.

De son côté, il a toujours observé un mutisme quasi complet sur cette guerre qui devait être la der des ders !



09/09/2010
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